"Or, pour le numérique, il n'y a pas d'art, ni même de formes sensibles propres à un matériau ou à un instrument. Le numérique opère non pas sur du "n'importe quoi", mais sur du "moins que rien"."

Edmond Couchot et Norbert Hilliaire, L'art numérique, Paris, Flammarion, 2003

15 mars 2012

Benayoun (Maurice), World Skin, 1997

World Skin, safari photo au pays de la guerre
1997
Maurice Benayoun
Musique : Jean-Baptiste Barrière

Fiche technique de l'œuvre :
Support : appareils photo, imprimante, logiciel de réalité virtuelle, système CAVE, 3 murs, sol
Production : Ars Electronica Center, Z.A Production, SGI Europe
Packaging : aucun
Nombre d'exemplaire : inconnu
Présence de date : non
Présence de signature : non
Visibilité sur internet : http://www.youtube.com/watch?v=I6NRSD7fBTw
Condition de diffusion et d'exposition : système immersif nécessaire ainsi que munir le spectateur de lunettes stéréoscopiques

Présentation :
Maurice Benayoun est un artiste plasticien particulièrement prolifique et considéré comme l'un des chefs de file du monde de la création numérique. World Skin (safari photo au pays de la guerre)est  considéré comme l'un des évènements majeurs de l'art numérique.

Concrètement, cette œuvre se présente comme une salle immersive cubique, dont la surface de projection englobe la totalité des 3 murs et le sol sur lequel le spectateur évolue. Du plafond pendent plusieurs appareils photographiques dont les déclencheurs ont été modifiés (reliés à des capteurs magnétiques). Le spectateur a été préalablement muni de lunettes stéréoscopiques lui permettant de percevoir pleinement le relief de l'environnement.
Le public évoluant dans cet espace est actif : les appareils sont mis à sa disposition, lui laissant le libre choix du cadrage et du nombre de prises de vues. Mais au moment de la prise de vue, lorsque le visiteur appuie sur le déclencheur, ce qu'il vient de cadrer disparaît immédiatement de l'image pour être remplacé par une projection blanche correspondant avec exactitude à la surface cadrée par le « photographe ». Cette surface est ainsi enlevée de la base de données virtuelle pour ne laisser apparaître qu'une ablation de l'image créée par le visiteur. L'appropriation de l'œuvre par celui-ci est poussée au point où le déclencheur de l'appareil est relié à un ordinateur imprimant l'exacte prise de vue du « touriste » à la sortie de la salle, et le visiteur pourra ainsi emporter avec lui son cliché sur papier.
En plus d’immerger ainsi le spectateur dans l’image, l’installation World Skin comporte une importante dimension sonore. En effet, une bande son est présente et évolue en fonction de la fréquence des prises de vues. Cette matière sonore en écho avec les éléments visuels transforme petit à petit le bruit du déclenchement de l’appareil photo en détonation d’arme à feu. Le visiteur est alors acteur à part entière du drame du monde de World Skin

L’action du visiteur devenu touriste est ce qui se joue à travers World Skin : confronté à un paysage chaotique où la photographie devient une arme s’emparant du monde en le supprimant, il est amené à se questionner sur son rapport à l’image. Le touriste de World Skin devient acteur, sortant de sa passivité habituellement entretenue avec son rapport à l’image.
En s’appropriant le monde de manière radicale, le visiteur efface un univers déjà souffrant, et retire au monde ce qu’il désirait posséder pour lui seul en devenant unique possesseur de l’image. Mais il est alors confronté au résultat de son action : le spectacle d’un monde amputé.
La place de l’image dans le monde est ainsi questionnée sous le prisme de l’appropriation des images comme acte individuel et vide de sens.                                                                           
Dans les médias par exemple, tout est mis sur le même plan et l’image de la guerre devient le lieu d’un spectacle quotidien où la souffrance est donnée à voir mais dont le contenu a été supprimé et oublié par la distance imposée par l’objectif de l’appareil. L’image devient vide, hors de sa vérité, anesthésiée.
Le réel est par la photo réduit au champ du cadre photographique, délaissant une part jugée indigne de mémoire. La photographie témoigne d’une chose tout en s’en emparant, elle se souvient tout en oubliant. Ici, le spectateur ravive la douleur du monde qu’il pénètre en supprimant ce qu’il garde pour lui et mettant ainsi en avant un monde de l’oubli empli de vide.
Cette volonté de posséder, cette jouissance individuelle d’une image papier est de l’ordre de la satisfaction fétichiste de ‘ce qui a été’ et d’une aspiration à la pérennité du souvenir de l’éphémère, trace d’un monde qui disparait.

Charlotte Dalia, 2011-2012



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