Fiche
technique de l'œuvre:
Support:
Installation
Production:
Christopher Baker
Packaging:
aucun
Nombre
d'exemplaire: un.
Présence
de date: 2008
Présence
de signature: non.
Visibilité
sur internet: http://vimeo.com/4464887
Condition
de diffusion et d'exposition: 30 imprimantes posées sur un mur et relié à un
ordinateur grâce à des concentrateurs USB 2.0 branchés en série.
Langue
d'origine: Anglais
Présentation:
Depuis sa création, l’usage d’internet a considérablement évolué :
occupant d’abord une fonction exclusivement militaire, elle s’est par la suite
convertie en fonction scientifique et récréative. Modifiant totalement notre
façon de voir le monde, le temps et l'espace, elle nous permet à présent de
communiquer avec une ou plusieurs personnes, quelque soit l’heure ou le lieu.
Les bouleversements des moyens de communication n'ont jamais laissé de marbre
les contemporains et, à plus forte raison, les intellectuels. Ainsi, en 1932,
Bertholt Brecht souligne dans son essai "La Radio comme un appareil de
communication" une idée selon laquelle les télécommunications peuvent
devenir un médium artistique.
Bien plus tard, en 1993, Paul Virilio (urbaniste et essayiste français) parlera
quant à lui de l’arrivée du virtuel comme l’apparition d’une nouvelle
ère : l’ère de la logique paradoxale. Je cite :"Ce noveau
type d'images donne la priorité à la vitesse sur la race humaine, au virtuel
sur le réel, et transforme notre notion de la réalité en quelque chose de donné
à la construction." (Citation de Virilio reprise par Eduardo Kac
"Telepresence Art" (1993), dans Art and Electronic Media,
p.236)
Pour Paul Virilio, la vitesse du langage des images dénature les facultés
d’analyse et les rapports humains. Cette vitesse technologique désormais
supérieure au temps humain mène tout droit à une autodestruction politique,
sociale et peut-être physique de l’homme.
Mediums artistiques pour les uns, sources de craintes et d'inquiétudes pour les
autres, les moyens de communication virtuels sont traversés par ce
paradoxe continu. Cette tension a particulièrement intéressé Christopher Baker,
notamment à travers son installation "Murmur Study" que je vais à
présent vous présenter.
1 )
Présentation de l’artiste et de l’œuvre
Ma problématique est donc la
suivante : Comment l'artiste s'empare du thème de la communication
virtuelle ? De quelle façon l'œuvre de Christopher Baker interpelle le
spectateur
Murmur Study (ou l’étude des murmures) est une œuvre conceptuelle de
l’artiste Christopher Baker qui a travaillé en collaboration avec Márton
András Juhász et Budapest Kitchen. L’installation a été présentée pour la
première fois au Festival Spark 2009 et elle a par la suite reçu plusieurs distinctions
internationales dans des festivals, galeries et musées.
En plus d’être artiste au Kitchen Budapest (un laboratoire d’expérimentation
des arts médiatiques situé en Hongrie) il faut également noter que Christopher
Baker a auparavant travaillé dans le domaine scientifique et plus précisément
dans le développement des interfaces cerveau-ordinateur à l’Université du
Minnesota.
Ses connaissances scientifiques lui ont permis d’exploiter le langage de
programmation Java afin de mettre au point un logiciel de contrôle
permettant de faire fonctionner plusieurs imprimantes à l’aide d’un seul
ordinateur, mais aussi de les connecter directement à Internet. L’installation
se compose de 30 imprimantes thermiques Epson TM-T20 qui sont reliées chacune à
des concentrateurs USB 2.0 branchés en série. A l’aide du logiciel Murmur Study
qui surveille en temps réel les mises-à-jour des internautes contenues sur les
messageries de micro-blogging, les résultats des mots-clés auparavant définis
par l’artiste sont imprimés de manière quasi continuelle sur du papier
thermique, créant ainsi un projet d’art in progress.
Murmur Study ressemble à une
version sophistiquée de l'installation News, crée en 1969 par Hans
Haacke.
Elle
se composait d’un téléscripteur qui recevait et imprimait les nouvelles
locales, nationales et internationales en temps réel. Il s’agissait d’un moyen
de critiquer le côté éphémère des "dernières nouvelles" et l’impact dû au défilement incessant de l’actualité et
donc de démocratiser la consommation et le partage de médias.
2) Les
données numériques : Une persistance insignifiante
Avec cette installation, Christopher Baker interroge une certaine futilité de
l'époque en sélectionnant des messages émotionnels, le plus souvent sous forme
d’onomatopées qui se succèdent. Il faut dire qu’avec l’avènement des réseaux
sociaux, le problème des blogs et leurs "pages" qui ne sont plus
alimentées au bout de 10 jours fautes d’événements personnels est en partie
résolu. En tenant compte d’une limitation de 140 caractères, Twitter nous
propose de parler de soi à travers des mots. Plus simple à alimenter
quotidiennement et enclin à accueillir de la micro-information, il n’est
pourtant pas rare que l’on se demande ce que l’on peut dire si l’on a rien à
dire. C’est ainsi que des millions de personnes postent des messages
insignifiants qui sont diffusés seconde par seconde sur la toile. Aussi bien
pour sa commodité que par son contenu futile, Twitter est devenu un symbole de
simplicité qui illustre parfaitement le flux d’informations et d’émotions
continues impossibles à suivre. Néanmoins, chacun prend plaisir à les
lire...
Le contraste ironique qui existe entre le vide de signification de ces messages
et leur rémanence est parfaitement représentée dans cette installation : ces
pensées simplistes sont réinscrites dans l’espace physique, s’accumulent sur le
sol et sombrent finalement dans l’oubli. Il s’agit d’une manière pour
l’artiste de nous rappeler qu’à l’inverse des conversations en dehors
d'Internet, ces pensées insignifiantes sont accumulées, archivées et indexées
numériquement par des sociétés. Mais il nous invite également à réfléchir sur
notre façon de "penser fugitivement et émotionnellement" sur Internet.
Comme
artiste travaillant sur le thème de la communication virtuelle, je vous propose
Markus Kison et son œuvre Pulse datant de 2008.
Il s’agit d’un "cœur" qui bat au
mouvement des billets publiés sur la plateforme blogger. Il nous permet de visualiser
en temps réel les humeurs des rédacteurs. Celles-ci sont analysées et comparées
à une liste de synonymes d’émotions, puis ces données sont retranscrites
physiquement par la métamorphose de ce cœur.
Breaking, une performance d’Eli Commins :
Toute la matière textuelle de la
performance raconte un événement de l’actualité et provient de témoignages
réels postés par des usagers de Twitter. Les spectateurs sont confrontés aux
voix de ces témoins ou acteurs d’un événement. Breaking permet de donner
forme à un récit commun qui se tisse à partir d’une multiplicité de points de
vue et nous place dans une position nouvelle face aux informations que nous
recevons à travers le monde grâce à Internet.
Pour en
revenir à Murmur study, il faut savoir que l'impression fonctionne à une
vitesse limitée pour économiser du papier. A la fin de chaque
démonstration, les piles de papier qui en résultent sont recyclés ou réutilisés
lors de futures expositions.
3)
La présence physique : une interrogation réel/virtuel
Le travail de Christopher Baker est souvent spécifique au site :
l'architecture et le lieu sont en effet des considérations importantes dans ses
œuvres. Pour cet artiste, l’art qui s’engage dans le monde numérique tend, en
général, vers des expériences immatérielles pour le spectateur, c’est pour
cette raison qu’il considère la présence physique de cette sculpture
monumentale comme l’élément qui fait la force de son installation. Voici une
citation de l’artiste à ce sujet…
"Malgré une familiarité croissante des outils numériques, les objets
physiques permettent encore de trouver écho avec le corps du spectateur d'une
manière sensuelle, ce qui n’est généralement pas le cas avec des expériences
lumineuses et virtuelles. Pour moi, le physique créé un pont important entre
mes idées et le spectateur. Cela requiert beaucoup plus de travail pour
finalement obtenir le même résultat, mais ces liens tissés sont ainsi purement
numériques ou virtuels."
Trouver
des interactions entre l'architecture, l'espace, le lieu et les données
numériques est pour lui un moyen de produire un mélange riche. Je
poursuis :
"Twitter
signale qu'il y a, en moyenne, 200 millions de tweets par jour […]toutes les
données numériques ont une base physique. Les données numériques ont besoin
d'énergie, d'espace et de ressources.."
J’ai sélectionné cette citation
que je trouvais intéressante car l’artiste nous parle de ces fragments de
chiffres importants qui lui permettent d’en faire l’expérience sur le plan
physique, cela l’aide à transformer notre réalité numérique en une démarche
plus réfléchie. Mumur study nous oblige à prendre conscience qu’une partie de
notre identité publique affichée sur une base quotidienne par l'intermédiaire
des réseaux sociaux pose des problèmes de confidentialité des données liée au
respect de la vie privée.
Nous en venons donc à nous demander pourquoi les gens tiennent tant à partager
leur vie privée sur le web. [diap] Dès 1984, Roy Ascott (artiste et
théoricien anglais) s’interroge sur ce phénomène et nous raconte, je cite :
"Se connecter au réseau, partager des échanges d’idées, propositions,
visions et des potins est quelque chose d’exaltant, en fait, ceci devient
totalement irrésistible et addictif" (Roy Ascott, Telematic Embrace:
Visionary Theories of Art, Technology, and Consciousness, 1984, p. 231)
Je vous propose également deux
œuvres qui traitent du sujet de la diffusion publique de l’identité sur
Internet. Tout d’abord Listening Post par Mark Hansen et Ben Rubin (2002) :
Les artistes récupèrent des fragments de texte à partir des sites de
chat et forums publics. Puis ces textes sont ensuite lus par un synthétiseur
vocal et affichés simultanément sur une grille suspendue où sont disposés
plus de deux cents petits écrans électroniques.
Et enfin, Jens Wunderling et son installation dans l’espace publique
nommée Default To Public - Tweetscreen (2008) : Grâce à un système
de géolocalisation des comptes, l’artiste récupère un tweet puis le projette
dans l'espace public proche de l’auteur du message (vitrine, mur d'immeuble,
panneau d'affichage) Dès qu’un nouveau message est affiché, une photo est prise
automatiquement et envoyée à son auteur afin qu'il ou elle soit au courant de
la "publicalisation" de son message. Le spectateur prend donc ainsi
conscience de son auto-exposition sur le web à travers le monde physique.
En conclusion, l’œuvre de
Christopher Baker utilise un procédé très simple mais nous divulgue des
messages clairs et explicites. A travers cette création d'une manifestation
physique qui nous donne à voir l'accumulation des pensées personnelles
accessibles grâce aux réseaux sociaux et micro-blogging, l’artiste nous
interroge sur notre utilisation des moyens de communications humains par une
interaction entre le réel et le virtuel.
Vallet Leslie, 2012-2013.